La Filière Béton dénonce le “greenwashing” de la RE 2020

Frédéric Gluzicki
11/12/2020
Modifié le 23/04/2021 à 12:49

La fronde contre les nouvelles orientations de la RE 2020 continue. Une nouvelle fois, la Filière Béton dénonce ce qu’elle appelle un “greenwashing” en bonne et due forme...

Après l’annonce des grandes lignes de la future RE 2020, faite le 24 novembre dernier, les réactions n’en finissent pas de pleuvoir. Déjà, une bonne partie des acteurs de la construction a dénoncé la modification de la comptabilisation du carbone. « Une dérive de la loi qui favorisera le bois au détriment de l’innovation dans les solutions constructives », indiquent les intéressés. A savoir, les filières béton, terre cuite, construction métallique et isolants… Bien entendu, de son côté, la filière bois « se félicite des orientations de la RE 2020 […] et de la reconnaissance de la méthodologie de l’analyse de cycle de vie dynamique. C’est une avancée historique ». La guerre semble belle et bien déclarée. 

Centrales à béton en bord de canal.
Les entreprises de la Filière Béton représentent 67 000 emplois directs, répartis sur 4 400 sites, dont dépendent aussi 200 000 emplois indirects. [©ACPresse]

L’industrie cimentière pèse près de 2 Md€

C’est dans ce contexte que la Filière Béton vient de lancer une première salve. Ceci, à travers un document intitulé “Greenwashing et distorsion de concurrence n’ont pas leur place dans la RE 2020”. Sept pages qui détaillent toutes les incohérences, selon elle, de l’entrée en application de l’Analyse de cycle (ACV) dynamique simplifiée« Le ministère de la Transition écologique […] ignore la réalité du tissu productif français. […] Le choix [d’introduire l’ACV dynamique simplifiée] questionne la poursuite des investissements de décarbonatation des entreprises de la Filière Béton, voire condamne à brève échéance leur présence dans l’Hexagone. »

Les propos sont forts, sans doute à la hauteur des enjeux dans la balance. Est-il utile de rappeler que l’industrie cimentière pèse près de 2 Md€ de chiffre d’affaires en France ? Que les entreprises de la Filière Béton représentent 67 000 emplois directs, répartis sur 4 400 sites, dont dépendent aussi 200 000 emplois indirects ? Visiblement, oui !

L’ACV dynamique issue d’une étude canadienne

Mais qu’est-ce que cette ACV dynamique ? Le fruit d’une unique étude produite au Canada par l’institut Craig et en partie financée par l’industrie du bois canadien… C’est ce que rappelle aussi la Filière Béton. Sa vocation est d’introduire une perspective temporelle de stockage du carbone dans les matériaux. En France, la DHUP, c’est-à-dire la Direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages, rattachée au ministère de la Transition écologique, a fait de choix de la simplifier. Et de choisir un horizon temporel à 100 ans. « Une manière de considérer que le CO2et les autres gaz à effet de serre captés au départ ne seront jamais restitués. Effacés d’un coup de baguette magique ! », fulmine Philippe Gruat, président de la Filière Béton. 

Construction d'un bâtiment en bois.
La mixité des matériaux, avec une dominante du bois : l’avenir de la construction en France ? [©ACPresse]

En réalité, cette approche va aboutir à contracter une dette carbone auprès des générations futures, en prétendant répondre à l’urgence climatique. Pour mémoire, en 2017, selon l’Agence internationale de l’énergie, la France représentait 0,9 % des émissions de CO2 mondiales. Et ce, toutes sources confondues. Dans ces émissions, les matériaux de construction pèsent environ 10 %, dont la moitié pour le béton… 

L’empreinte carbone d’un bloc béton

Il est vrai que la loi Elan exige la prise en compte de la contribution au stockage du carbone de l’atmosphère pendant la durée de vie des bâtiments. Cependant, cette obligation questionne et appelle quatre observations de la part de la Filière Béton. Déjà, « l’intérêt climatique du stockage temporaire du carbone dans le bois est loin d’être scientifiquement démontré ». Ensuite, « appliquer la loi Elan n’impose pas de bouleverser le système actuel des ACV ». D’autant que « l’ACV dynamique n’est utilisée dans aucun pays d’Europe ». Et enfin, « la méthode de l’ACV dynamique simplifiée n’a fait l’objet d’aucune validation scientifique »

A travers son document, la Filière Béton dénonce nombre d’absurdités. Une des plus amusantes est de voir passer l’empreinte carbone d’un bloc béton de + 13 kg de CO2à – 37 kg uniquement en remplissant ses alvéoles de copeaux de bois ! Deux avantages à une telle solution : la capacité isolante du bloc béton sera augmentée et le bois sera protégé contre les risques de feu… A priori, ce n’est pas la conclusion qu’imagine la filière bois, quand elle déclare que « cette mesure [introduction de l’ACV dynamique simplifiée] est de nature à favoriser l’essor d’une mixité́ renforcée des matériaux de construction ». Mention présente dans son communiqué de presse du 25 novembre 2020.

Mur en blocs béton.
Remplir les alvéoles d’une bloc béton de copeaux de bois ferait passer son empreinte carbone à – 37 kg ! [©ACPresse]

Et la sécurité au feu des constructions en bois ?

Enfin, la Filière Béton estime que l’ACV dynamique simplifiée n’est autre qu’une opération de “greenwashing”. Donc une décision purement politique, dans une volonté avouée du tout bois. Sans compter que ce choix va nécessiter une transformation profonde des forêts françaises. Et, a priori, un important recours aux importations de bois d’œuvre pour répondre à la hausse de la demande qui s’annonce… 

Quant à la sécurité au feu des constructions en bois – qui inquiète beaucoup les pompiers, cela va de soi -, le document de la Filière Béton ne l’évoque pas. Mais le sujet risque de se retrouver très vite sur la table. Tout comme les aspects plus sociétaux. Dans un pays patrimonial, attaché à la pierre, à la transmission des biens, les Français ont-ils tous envie d’habiter dans une maison en bois, sans doute plus chère à la construction ? Et dont la valeur à 50 ou 100 ans reste une grande inconnue.   

En savoir plus...

Télécharger le document “Greenwashing et distorsion de concurrence n’ont pas leur place dans la RE 2020” en cliquant sur l'image.

[©Filière Béton - Décembre 2020]

 

Frédéric Gluzicki

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  1. Gérard Guérit

    Le béton et le bois sont des matériaux complémentaires de longue date. Au lieu de pondre des usines à gaz, de plus très orientées, que l’Etat laisse les professionnels travailler et faire les choix techniques les plus appropriés à chaque cas de figure. Comme dit dans l’article, la science quand au captage du CO2 reste très empirique, et il est invraisemblable que la Re 2020 donne autant d’importance à ce paramètre.