L’UE réforme son marché et instaure une taxe carbone

Yann Butillon
20/12/2022
Modifié le 06/01/2023 à 11:46

Réunie en trilogue pour mettre sur pied le paquet législatif qui doit mettre en musique son ambition pour le climat, l’Union européenne a réformé son marché carbone. Et a mis en place une taxe carbone aux frontières, qui concerne beaucoup le ciment.

Les importations de clinker et de ciment vont être taxées par l'UE. [©ACPresse]
Les importations de clinker et de ciment vont être taxées par l’UE. [©ACPresse]

Cette semaine, l’Union européenne (UE) a dansé une valse à deux temps qui pourrait modifier en profondeur l’industrie du continent, dans les années à venir. C’est en tout cas l’ambition affichée. Et cela concerne beaucoup l’industrie cimentière. Rembobinons pour en comprendre les enjeux.

Mardi 13 décembre au matin. Les Eurodéputés ont adopté le Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF). Déjà connu sous le nom de taxe carbone aux frontières. Et qui – n’ayons pas peur des mots – est unique au monde. Il s’agit de taxer les importations de marchandise depuis des pays ayant des normes moins strictes en matière de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre. Une taxe qui concerne les secteurs les plus polluants, comme l’acier, les engrais, l’électricité, le fer, l’aluminium et… le ciment.

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Ce dispositif permet d’éviter la fuite carbone, qui verrait les industriels délocaliser hors d’Europe des sites soumis à une réglementation écologique stricte. Tout en espérant servir d’exemple, en poussant les pays à aligner leur législation écologique, afin de pouvoir exporter leurs marchandises vers le marché européen. Réunie en trilogue (Commission, Etats membres et Parlement), l’UE espère ainsi tenir ses objectifs climatiques. En réduisant ses émissions de gaz à effet de serre de 55 % d’ici 2030 (par rapport à 1990). Et atteindre la neutralité carbone en 2050. Cette taxe s’inscrit dans un paquet législatif en cours de négociation, nommé “Fit for 55”.

Une entrée en vigueur en 2026

Une partie du mécanisme d’application de cette taxe est déjà établi. Pour importer une marchandise d’un pays tiers, l’importateur devra acheter des certificats pour couvrir les émissions de CO2 directes engendrées par le produit. Les émissions indirectes seront aussi prises en compte dans un cadre qui sera défini en Commission en 2026.

En effet, si le mécanisme entre en vigueur en octobre 2023. Il ne sera que déclaratif jusqu’en 2026, sans achat de certificat associé. Si le pays d’importation dispose déjà d’un prix carbone (comme la Chine, par exemple), l’importateur ne devra payer que la différence de tarification.

Ce mécanisme veut rétablir une concurrence équitable entre les entreprises productrices européennes, qui doivent acheter des droits à polluer et les entreprises non européennes du même secteur. Pour le moment, environ 60 % des émissions européennes sont couvertes. Mais la liste des matières concernées par la taxe pourrait s’allonger, en fonction des risques de fuite carbone des entreprises. Un an avant l’entrée en vigueur du paiement de la taxe, une nouvelle proposition législative établira la liste des marchandises concernées. Et comblera les failles. Par exemple, le dispositif taxerait aujourd’hui l’importation d’acier turc, mais pas l’importation d’un camion fabriqué en acier turc

L’épineuse réforme du marché carbone

Mais les industriels disposant d’un certain (gros) nombre de quotas gratuits à polluer, le dispositif pouvait enfreindre les règles de l’OMC. Il aurait pu être qualifié de subvention directe déguisée. A l’image de l’Inflaction Reduction Act américain, qui évolue en dehors des clous de l’OMC. C’est pourquoi, le trilogue européen s’est à nouveau réuni et a trouvé un accord ce dimanche 18 décembre, afin de réformer son marché carbone. C’est le pilier du plan climat européen. Et c’est notre deuxième danse.

Cette réforme part d’un constat : le marché carbone est, pour le moment, un échec. Il devait inciter les industriels à réduire leur impact carbone, ils ne l’ont que très peu fait… Ou alors pas assez. La faute, semble-t-il à des millions de quotas gratuits accordés pour éviter les délocalisations, à l’issue d’un bras de fer et de lobbying. Avec l’arrivée de la taxe carbone aux frontières, le rapport de force ne tient plus. Le marché carbone va donc être réformé, pour le mettre sous tension.

Un prix du carbone réévalué

Stockage de ciment avant distribution. [©ACPresse]
Stockage de clinker issu de l’importation extra-européenne. [©ACPresse]

Le nombre de droits à polluer, qu’ils soient gratuits ou pas, va être peu à peu réduit, pour atteindre un prix établi autour des 100 €. Il est aujourd’hui de 85 € la tonne de CO2. Ce prix vise à pousser à la réduction des émissions, en augmentant le coût d’une manière drastique. Au passage, le marché est étendu au secteur maritime et aux vols aériens intra-européens.

Les sites d’incinération des déchets devraient aussi y être soumis. Un second marché carbone (ETS 2) est aussi créé. Il concerne les carburants du transport routier et le chauffage des bâtiments. Avec une série de garde-fous visant à protéger les ménages. Ces recettes constitueront un fonds social pour le climat. Visant à aider à la transition énergétique les ménages les plus modestes et les TPE.

Des quotas en question

Restait l’enjeu le plus épineux : les quotas gratuits. Ils seront supprimés entre 2026 et 2034, avec un objectif de 48,5 % de suppression d’ici 2030. Les plus âpres conversations ayant été au sujet du rythme de cette suppression. La taxe carbone aux frontières montera en puissance au même rythme, sur le principe des vases communicants. Le rythme de suppression des quotas reste une forte déception pour les ONG climatiques. Estimant que cela financera les activités polluantes à hauteur de 200 Md€ entre 2026 et 2032, au prix actuel du carbone. Les différentes fédérations de l’industrie ne se sont pas encore exprimées sur le sujet. En contrepartie, le fonds européen d’innovation qui accompagne les entreprises dans leur transition énergétique est gonflé à hauteur de 50 Md€. Charge maintenant à l’UE de bâtir un plan d’investissement dans le temps pour transformer l’industrie européenne.

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