La diagonale du vide lève la paille

Rédaction
19/03/2020
Modifié le 21/09/2021 à 14:45

A la lisière de l’Yonne, la ville de Courtenay s’est dotée d’un pôle culturel et associatif volontariste, qui associe le recours aux matériaux biosourcés (bois-paille) à une approche pragmatique. Et ce, sans négliger la qualité architecturale.

Avec des moyens simples, la façade principale est magnifiée et devient un lieu propre. [©Desmichelle]
Avec des moyens simples, la façade principale est magnifiée et devient un lieu propre. [©Desmichelle]

Après l’élaboration des règles professionnelles, les acteurs de la construction bois-paille ont tenté depuis 10 ans de repousser les limites d’emploi de ces systèmes constructifs. Partant à la conquête des équipements scolaires et des constructions multi-étages. Globalement, on peut dire que ces avancées s’inscrivaient dans le cadre d’une architecture en bois, intégrant l’option du bois-paille et en paroi. Corentin Desmichelle est l’un des spécialistes français de l’architecture émergente en bois-paille. Son atelier a pleinement accompagné cette phase, qui culmine pour ainsi dire, l’an dernier dans le XIIIe arrondissement de Paris, avec la livraison de l’école maternelle des trois petits cochons, avec l’agence LA. L’école s’articule en trois segments de taille croissante et intègre dans sa conception trois matériaux symboliques : la paille, le bois et la brique. Mais pas dans un ordre de succession. La paille est protégée par le bois qui prend appui sur la brique. L’idée des trois petits cochons permet d’intégrer la brique pour afficher un ouvrage biosourcé, tout en lissant les résistances que l’on rencontre ailleurs en France. C’est cette même approche que l’Atelier Desmichelle a suivie pour le chantier du pôle culturel de Courtenay conçu en parallèle.

Culture artistique et agricole

Pour ce centre culturel et associatif, l’architecte a fait face à une autre réalité. En bordure Sud du bocage gâtinais, en bordure occidentale de la région Bourgogne, le bourg de Courtenay peine à maintenir son nombre d’habitants. En prolongement de l’école primaire, le collège Aristide Bruant a été fermé au profit d’un nouvel établissement inauguré à la rentrée 2009. Que faire de cette parcelle en bordure de la rotonde du centre commercial ?

Les caissons en paille font appel à une structure bois, qui limite les ponts thermiques. [©Desmichelle]
Les caissons en paille font appel à une structure bois, qui limite les ponts thermiques. [©Desmichelle]

Près de 10 ans plus tard, le maire inaugure un “pôle culturel et associatif” imposé de haute lutte. La ville aura pris conseil auprès du CAUE du Loiret pour préciser son projet, qui vise à répondre à une multiplicité de besoins culturels. A l’origine, il est question de l’aménagement d’un parvis en belvédère de 200 m² en partie couvert, offrant une vue panoramique et permettant l’organisation d’animations en plein air. Progressivement, le projet évolue vers un bâtiment couvrant l’ensemble de la surface disponible. Dans une enveloppe de 3,6 M€ HT en coût de construction (hors VRD, foncier, parking) pour 1 700 m3 de plancher de plain-pied, le projet cristallise, selon le lauréat Corentin Desmichelle, « une nouvelle approche constructive entre culture artistique et culture agricole. Il préfigure la société post-carbone, qui se prépare ».

Paille de proximité

Dans la région, la paille ne manque pas. Et pour ce chantier, l’enveloppe en bois-paille, périphérique et en toiture, va permettre de faire le lien avec l’environnement agricole, tout en apportant d’emblée un niveau d’isolation passif. « Fraîches en été, chaudes en hiver, les maisons de paille sont avant tout économiques », titrait il y a cent ans une revue technique, qui décrivait la Maison Feuillette. Restée peu courante, mais en évoluant vers la préfabrication de caissons, la construction paille a fait appel pour le pôle culturel à l’entreprise Natali distante de 150 km. L’architecte estimant important que le montage soit assuré par une entreprise locale, en l’occurrence Charpentes du Gâtinais. L’enveloppe a consommé environ 1 400 bottes de paille de blé, l’équivalent de 3,5 ha et elle est certifiée Certipaille. Comme le souligne l’architecte dans le cadre de la démarche HQE, les murs de l’enveloppe sont tellement performants qu’il n’y avait aucune nécessité de les doubler. Ce qui a permis de faire l’économie des habituels montants en acier galvanisé. Dans un prolongement logique, le sol en linoléum répond à une volonté de frugalité.

La mixité intelligente bois - paille sert pleinement à la polyvalence de l’ouvrage. [©Desmichelle]
La mixité intelligente sert pleinement à la polyvalence de l’ouvrage. [©Desmichelle]

Mixité

Les autorités locales ne pensaient pas tant lier l’ouvrage à son environnement par la paille, mais plutôt par la brique de Louzouer traditionnellement fabriquée tout près de Courtenay. « Elever les murs en brique aurait coûté cher, explique Corentin Desmichelle. L’option retenue a été d’en paver les 120 m2 du patio intérieur. » Le patio fonctionne comme un indispensable puits de lumière, via un mur-rideau Raico permettant l’installation de baies sur toute la hauteur. Une façon de faire en sorte que le projet parvienne à abriter toutes les fonctionnalités futures dans un ouvrage de plain-pied. La façade est rehaussée par rapport au niveau courant des plafonds linéaires en lames de douglas, pour les mêmes raisons. Ces lames habillent avantageusement le recours à l’acier pour enjamber certaines portées importantes. Encore une fois, dans le but de réduire l’emprise des ouvrages pour mieux faire entrer la lumière. « L’architecte autrichien Hermann Kaufmann n’hésite pas à procéder de la sorte quand cela peut apporter plus de légèreté dans la perception de l’ouvrage. »

Ici, les briques utilisées pour l’école des trois petits cochons réapparaissent à Courtenay sous forme de briques assemblées à sec Blocstar. Elles remplissent à la fois une fonction d’isolement acoustique des salles de musique, et de points d’appui pour la charpente en caissons remplis de paille. En mitoyenneté immédiate d’une maison individuelle, un mur de béton s’impose pour assurer le coupe-feu requis, et pour contribuer par la même occasion au contreventement de l’édifice.

Façade

En général, les parois en bois-paille ne tolèrent pas de facéties. D’autant qu’il ne s’agit pas de dégrader les fortes performances d’isolation intrinsèques de systèmes, qui intègrent des bottes de paille nécessairement conditionnées dans un format standard épais. Dans le cas de Courtenay, les caissons empaillés se prolongent en auvent à sous-face en bois. Contrastant avec le bardage vertical lasuré et sombre, lui-même en dialogue avec l’horizontalité claire des marches en pierre locale, reprise par l’habillage du socle du bâtiment. Les marches rejoignent la plate-forme de l’entrée, sous l’auvent généreux, qui crée un lieu à la fois abrité et ouvert. En comparaison, l’école des trois petits cochons défie l’orthogonalité à l’intérieur, mais son apparence extérieure reste marquée par l’angle droit. La massivité des parois étant savamment atténuée par un jeu de transparence sur le bardage en bois.

Brique de Louzouer, mur-rideau Raico, bardage en douglas lasuré, paroi en bardeaux de mélèze. [©Desmichelle]
Brique de Louzouer, mur-rideau Raico, bardage en douglas lasuré, paroi en bardeaux de mélèze. [©Desmichelle]

Toiture

Couvrir un bâtiment étiré et de plain-pied d’une toiture en tuile aurait été coûteux, en créant des combles perdus. A contrario, une finition en bungalow aurait desservi le geste ample de la façade d’entrée. L’architecte prend le parti de se contenter, pour l’essentiel de la toiture, d’un EPDM, et de concentrer les dépenses sur l’habillage de la salle de spectacles surélevée. Les poteaux en lamellé-collé accueillent des murs préfabriqués en bois-paille contreventés par des plaques en Fermacell, qui forment le support de la peinture intérieure. Côté extérieur, des bardeaux de mélèze vont permettre de négocier des angles arrondis et doux (entreprise Scandulae). Pour l’heure, cette masse évoque un peu une grande botte de paille. En grisonnant, elle rejoindra la teinte du bardage de la façade.

La nouvelle architecture vertueuse

Livré il y a un an, le bâtiment abrite une médiathèque, une école de musique et de danse, des locaux associatifs, ainsi qu’une salle de spectacles de 150 places, équipée de gradins rétractables. Rien que ça. Le mobilier en bois de la médiathèque a été conçu sur roulettes pour répondre aux mieux aux besoins des usagers. Distingué au palmarès régional des bâtiments biosourcés 2019, le bâtiment a fait l’objet d’une démarche HQE option label “Bâtiment biosourcé” sans certification avec le niveau “Très Performant” visé pour la cible 4 sur la gestion d’énergie.

Axionométrie. [©Desmichelle]
Axionométrie. [©Desmichelle]

Les besoins énergétiques tous usages sont établis à 120 kWhep/m²(Shab)/an et les besoins annuels de chauffage à 30 kWhep/m²(Shab)/an. La ventilation est assurée par une VMC double flux, parfaitement intégrée dans l’enveloppe, que lisse aussi le raccordement au réseau de chaleur bois de la ville. Si le pôle culturel de Courtenay comble bien le vide, c’est aussi celui de l’architecture française face aux défis actuels du changement climatique.

Jonas Tophoven