Comment le béton a sauvé Venise des eaux

Yann Butillon
07/10/2020
Modifié le 07/10/2020 à 15:59

Pour éviter à Venise de subir le même sort que l’Atlantide, les autorités de la ville de Venise ont décidé de la mise en chantier d’un système de digues amovibles pour se protéger des phénomènes de hautes marées en 1984. Il a été inauguré le 3 octobre.

Le chantier du système Mosea été débuté en 2003 [©Venezia Nueva]
Le chantier du système Mosea été débuté en 2003 [©Venezia Nueva]

Le 3 octobre restera comme un jour historique pour Venise. La cité italienne a enn effet vu la mise en service du système Mose, chargé de la protéger de la montée des eaux. Imaginé en 1984, en chantier depuis 2003, le concept a montré son efficacité dès ses premiers jours. Heureusement, puisqu’avec 1à ans de retard et un coût trois fois supérieur à l’estimation de départ, la construction avait fini par être affublé du surnom de “barrage maudit”.

Pour cette occasion, nous vous proposons de relire, ou de découvrir le reportage que nous avions consacré à l’opération en 2012. Alors que le chantier battait son plein.

Venise sauvée des eaux

Venise. Ceux qui en rêvent pensent à ses romantiques gondoles. Ceux qui en rentrent racontent la place Saint-Marc, le palais des Doges, le Rialto ou le pont des Soupirs. Et ceux qui y vivent ne supportent plus les phénomènes d’alta acqua, ces marées hautes qui inondent la ville, détruisent peu à peu son patrimoine et remettent en cause sa pérennité. Les Vénitiens, qui ont toujours eu le pied marin, ne veulent pas pour autant avoir les pieds dans l’eau. Il fallait donc trouver une solution pour stopper les hausses de niveau d’eau de plus de 110 cm par rapport au coefficient zéro marée, seuil au-delà duquel la ville est inondée. Le ministère des Infrastructures et de la magistrature des eaux de Venise lança donc, en 1987, le Programme général d’interventions (PGI), par l’intermédiaire du Consortium Venezia Nuova, pour un coût total de 3,244 Md€ et pour une date de mise en service fixée en 2014. Au programme : extension et mise en état de 45 km de plages, rétablissement de 8 km de dunes et consolidation de 40 km de dunes et de murailles en pierres. Et surtout la construction du Mose1.

Des portes amovibles 

Les digues du système Mose ferment les embouchures de la lagune. [©Venezia Nueva]
Les digues du système Mose ferment les embouchures de la lagune. [©Venezia Nueva]

Le Modulo sperimentale elettromeccanico est un ensemble de 78 portes métalliques bloquant ponctuellement l’entrée des trois passes de Malamocco, Chioggia et Lido. Ainsi, lorsque la montée des eaux dépassera le seuil de 110 cm, les portes se lèveront de 45° degrés permettant ainsi de retenir l’eau jusqu’à une hauteur de 3 m. Cette solution d’immerger des portes, qui ne se soulèveront qu’en cas de nécessité, a été préférée à un barrage enfermant la lagune, pour des raisons écologiques et pour ne pas obstruer la vue des touristes. Les portes ou coffres métalliques mesurent 20 m de largeur, 30 m de haut et un peu plus de 5 m d’épaisseur. Elles reposent sur le fond de la lagune, à l’intérieur de coffres en béton préfabriqué. En cas de marée, les vannes sont vidées par injection d’air comprimé et se s’élèvent, pivotant autour de l’axe de leurs charnières. Elles sont efficaces en 30 mn, et reprennent leur place initiale en 15.

Une île artificielle a été créée au milieu de la passe du Lido-San Nicolò, celle-ci étant trop grande pour que les portes soient efficaces d’un seul tenant. Evidemment pour ne pas gêner la circulation des bateaux de pêche et de tourisme, des écluses ont été construites sur chacune des trois passes. Enfin, le quartier de l’Arsenal a été entièrement rénové, puisque le consortium a décidé d’y élire domicile, pour ses bureaux et pour les usines d’assemblage des portes.

220 000 m3 de béton marin

Le système repose sur des portes en béton. [©Venezia Nueva]
Le système repose sur des portes en béton. [©Venezia Nueva]

Le béton a pris une place particulière dans le projet. Les supports des portes, de 60 m x 35 m, ont été préfabriqués, puis immergés. Pour des questions d’espace et de facilité de transport, trois chantiers indépendants ont été ouverts, aux abords de chaque passe. Avec pour chacun des sites, une unité de préfabrication et une unité dédiée aux écluses. C’est Simem Italie qui a fourni les centrales à béton de Calcestruzzi, Unicalcestruzzi et Laguna Calcestruzzi, les trois producteurs du béton. Le tout pour une capacité de 600 m3/h. Au final, ce sont 220 000 m3 de béton qui seront coulés pour le projet.

Fort logiquement pour lutter contre la corrosion, un béton marin a été utilisé. Il s’agit du “Marine Concrete” d’Italcementi, qui devrait garantir 200 ans de vie au mécanisme. Ainsi, avec un tel dispositif, la ville de Venise devrait pouvoir continuer d’accueillir les amoureux de la terre entière. A condition tout de même de changer ses habitudes. En effet, la cité s’est affaissée de 10 cm au XXe siècle, en raison de pompages incontrôlés dans les nappes phréatiques. Car, si le Mose, surnommé Moïse, écarte les eaux, il ne pourra rien contre un sabordage.