Un béton “vert” est-il possible ? #1

Rédaction
21/10/2019
Modifié le 13/02/2023 à 15:10

L’impact environnemental lié à l’utilisation généralisée du béton n’est pas neutre. Dans ce contexte, il est urgent d’explorer les pistes, pouvant conduire à un béton “vert”. Pistes explorées par l’Ifsttar...

Article paru dans le n° 85 de Béton[s] le Magazine

Démolition d’un bâtiment en béton. Les gravats seront recyclés en granulats réutilisables dans un béton neuf.
[©ACPresse]

L’usage généralisé du béton n’est pas sans conséquence, que ce soit sur les émissions de CO2, surtout liées à la fabrication du ciment, ou sur la production de déchets minéraux de déconstruction. Mais cette véritable roche liquide à température ambiante offre un usage d’une incomparable commodité. En France, plus de 80 % du patrimoine bâti est en béton. Retirer ce matériau de notre paysage annoncerait donc un retour instantané à l’âge pré-industriel !

A l’heure actuelle, le béton reste difficile à remplacer. Mais cela n’interdit pas de l’améliorer. A ce titre, l’Institut français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux (Ifsttar) travaille sur le béton vert, et plus précisément sur le recyclage du béton de démolition sous forme de granulats. Il conçoit des traitements du béton, piégeant le CO2, afin d’améliorer la qualité des granulats et le cycle de vie global du matériau. Dans une perspective plus lointaine, l’Ifsttar étudie aussi des matériaux de substitution au ciment Portland. Cependant, avant le transfert à l’échelle industrielle, ces nouveaux ciments et bétons doivent être éprouvés et acceptés par le secteur de la construction. Et avoir démontré l’adéquation de leurs performances avec les procèdes modernes développes dans ce domaine.

I – Le béton, un matériau incontournable, qui s’adapte aux époques*… 

Véritable roche artificielle, le béton est d’une commodité d’usage incomparable. Il résulte d’un mélange de granulats, de sable, de ciment et d’eau. Initialement fluide pour pouvoir épouser toutes les formes, il durcit en un temps raisonnable, même sous l’eau. Sans qu’il ne soit nécessaire de le chauffer ou de le refroidir. Cette commodité explique donc son usage toujours croissant à l’échelle mondiale. Ainsi, à l’heure actuelle, chaque habitant en consomme près de 1 m3/an. Suite au développement des pays émergents, il est probable que cette consommation double d’ici 2050…

Malgré tout, l’usage du béton se heurte à certaines limites. D’une part, la fabrication du ciment actuel dit “Portland” est une source non négligeable de CO2– 5 à 7 % des émissions mondiales1-, du fait de la réaction de l’argile avec le calcaire à haute température. D’autre part, les granulats, qui constituent l’ossature du béton, sont des ressources inéquitablement réparties et loin d’être inépuisables. 

Retirer le béton de notre paysage annoncerait un retour instantané à l’âge pré-industriel ! Ouvrage de franchissement de la Nouvelle Route du Littoral, à la Réunion.
[©ACPresse]

Valorisation complexe

L’idée de recycler les bétons de déconstruction pour refaire du béton neuf peut donc être une solution vertueuse à envisager, d’un point de vue des émissions de CO2. Mais réutiliser des granulats et des grains plus fins, obtenus par broyage de gravats de déconstruction, est moins simple qu’il n’y paraît. De manière très sensible et selon des lois précises, la solidité d’un béton dépend de l’empilement des grains de différentes tailles. Tout changement de taille, de forme ou même de rugosité conduit à changer la structure de l’empilement et sa résistance.

Comprendre et maîtriser ces changements, pour pouvoir malgré tout réobtenir un béton aussi performant que le béton de première génération, est un premier sujet sur lequel planchent les chercheurs de l’Ifsttar.Mais plutôt que de valoriser directement les granulats, le sable, voire le ciment, pour refaire un nouveau béton frais, il peut être préférable de réutiliser les gravats après les avoir exposés à l’air pendant quelque temps ou en leur faisant subir un traitement de carbonatation accélérée. Ce faisant, le CO2 émis lors de la fabrication du ciment peut être réabsorbé par ces constituants. Les gravats durcissent aussi par la même occasion, pour former des granulats de bien meilleure qualité. Le bilan global s’en trouve amélioré, que ce soit sur le plan des émissions de CO2ou sur celui des économies de ressources naturelles.

II – Des matériaux de substitution**

Les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre ou d’augmentation de la part d’énergies renouvelables sont autant de réponses politiques et législatives aux préoccupations de la société. De manière générale, ils impactent notre développement futur, mais aussi la façon dont nous construisons nos bâtiments et nos infrastructures. En France, la majorité est construite en béton. Dans le monde, avec 3 t/an et par personne, soit environ 1,25 m3, le béton est le matériau manufacturé le plus consommé.

Cette position trouve sa justification dans le faible coût énergétique et donc économique lié à sa fabrication. La disponibilité de ses composants, partout à la surface de notre planète, explique aussi ce succès. Cependant, dans un objectif de développement durable, une telle position en termes de fabrication et de consommation fait de la relation avec l’environnement de ce matériau une question majeure. A quand le béton vert ?

a – Des impacts environnementaux liés à l’utilisation des matériaux

La figure 1 montre une poutre en béton armé de logement collectif, qui peut être considérée comme un élément représentatif d’une structure béton. Les différentes données d’impacts environnementaux obtenues sont normalisées par ceux d’un citoyen européen en 1995.  Elles démontrent que la production du ciment et la démolition des bétons constituent les principaux impacts environnementaux de ce système fonctionnel. Cependant, il est possible d’anticiper une partie des évolutions des ciments, qui découleront de la mise en place de politiques de réduction des impacts environnementaux.

Impacts environnementaux normés, par rapport à ceux d’un citoyen européen, pour une poutre en béton armé de logement collectif. 
[©Ifsttar]

b – Limiter les effets néfastes grâce à de nouvelles technologies

Les émissions de CO2 sont surtout associées à la décarbonatation du calcaire nécessaire à la production du ciment traditionnel. L’Ifsttar a pu montrer que l’industrie, en prenant en compte sa croissance et son évolution technique potentielle, pourrait produire des matériaux cimentaires répondant aux critères de diminution des émissions de CO2fixés pour l’étape intermédiaire de 2020 (voir Figure 2). La technologie actuelle ne permettra cependant pas d’atteindre les critères fixés pour 2050. Alors qu’une “évolution technologique” dominera les dix prochaines années, une “révolution technologique” pour un béton vert semble inévitable à plus long terme…

Evolution de l’impact du changement climatique par tonne de ciment. Historique et perspectives.
[©Ifsttar]

c – L’utilisation du ciment révolutionnée au profit de nouveaux liants

Une grande partie de l’effort de recherche de l’Ifsttar se focalise sur l’évolution technologique nécessaire à court terme. Elle passe par une réduction de la quantité de ciment traditionnel dans la formulation des bétons. Par exemple, par le recours plus systématique aux ciments composés. Mais aussi par l’utilisation d’autres déchets issus de l’activité industrielle et le recours à de forts taux de substitution du ciment. Ceci, par une ou plusieurs additions minérales, telles que les laitiers de haut fourneau, les cendres volantes ou d’autres déchets industriels. 

A plus long terme, la “révolution technologique pour le béton vert” pourrait venir de l’utilisation de liants alternatifs, tels que les géopolymères ou les clinkers sulfo-alumineux2. Ces matériaux à très faibles impacts environnementaux pourraient ainsi remplacer le ciment Portland traditionnel. La construction des connaissances et compétences nécessaires au traitement de tels sujets au sein de l’Ifsttar arrivent aujourd’hui à maturité. A terme, les connaissances générées permettront de dissiper les inquiétudes liées à l’utilisation de ces matériaux par une démonstration de l’adéquation de leurs performances avec les procédés de construction modernes. Et aussi par une évaluation quantitative de leur impact environnemental sur l’intégralité de leur cycle de vie (production, mise en œuvre et déconstruction).

Novembre 2019

*Henri Van Damme
Mis à jour par Jean-Michel Torrenti
Directeur du département Mast (Matériaux et structures) à l’Ifsttar

**Nicolas Roussel
Directeur de recherche au département Mast, laboratoire FM2D (Formulation, microstructure, modélisation et durabilité des matériaux de construction) à l’Ifsttar

Découvrez la partie II de l’article “Un béton “vert” est-il possible ?”

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