Maintenance des bétons : Savoir rénover les bétons

Yann Butillon
10/06/2024
Modifié le 14/06/2024 à 12:10

Rénover plutôt que reconstruire, pour économiser tant les ressources financières que naturelles, pour émettre moins de carbone ou encore pour sauvegarder le patrimoine. Plus que jamais, la conservation des bétons anciens et/ou dégradés deviendrait presque un acte militant !

Article paru dans Béton[s]le Magazine n° 112

Qu’il s’agissait d’ouvrages d’art ou de bâtiments, la tendance aujourd’hui est de préserver plutôt que de démolir pour reconstruire. Mais dès lors que cela concerne un édifice classé – à l’image de la tour Perret de Grenoble –, la question ne se pose même plus...[©ACPresse]
Qu’il s’agisse d’ouvrages d’art ou de bâtiments, la tendance aujourd’hui est de préserver plutôt que de démolir pour reconstruire. Mais dès lors que cela concerne un édifice classé – à l’image de la tour Perret de Grenoble –, la question ne se pose même plus…[©ACPresse]

Peu avant midi, le 14 août 2018, le pont Morandi, qui enjambe un quartier de Gênes, en Italie, s’écroulait, causant la mort de 43 personnes. Très vite, la vétusté de l’ouvrage est pointée du doigt. L’Italie aurait laissé ses infrastructures se délabrer. Mais le rapport sénatorial d’Hervé Maurey va montrer que la France n’a pas fait beaucoup plus. Des effondrements de balcons à Angers et à Antibes, et d’immeubles entiers, à Marseille ou à Toulouse, prouvent que le problème touche tout autant nos bâtiments. La faute au béton ? La faute surtout à un mauvais entretien et à des réparations sinon absentes, au moins hors de propos…

 

Sommaire du dossier :
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Prenons le cas le plus documenté : celui des ouvrages d’art, grâce au Programme national des ponts, lancé par l’Etat. « Les ingénieries de l’IMGC ont réalisé cet inventaire et ont renseigné un carnet de santé des ouvrages inspectés. Cela constitue une première étape indispensable à une gestion efficace d’infrastructures, explique Pascale Dumez, présidente de l’IMGC et directrice générale de Sixense Engineering. Sur les 45 000 ponts recensés par les ingénieries privées, 10 % ont nécessité des mesures de sécurité immédiates et 4 % des ouvrages présentaient des désordres graves. Cette opération d’envergure pilotée par le Cerema et réalisée par les bureaux d’études privés a confirmé la gravité de la situation et la nécessité d’engager des travaux de réparation pour 9 000 ouvrages ! »

Réparer pour éviter les drames

Mais malgré ce début de prise de conscience, tout reste à faire. « La situation est préoccupante, car notre parc d’ouvrages d’art est vieillissant. Et nous allons devoir faire face à un nombre croissant de structures atteintes par des pathologies lourdes dans les années à venir. Suite aux différentes lois de décentralisation, les communes ont récupéré la gestion des ouvrages d’art, sans pour autant disposer des services techniques et des budgets suffisants pour maintenir le niveau de service de leurs ponts. Et enfin, les budgets qui sont affectés ne sont pas suffisants pour adopter une stratégie de maintenance en phase avec l’état des infrastructures pour l’ensemble du territoire, à l’exception des réseaux concédés. » Mais une profession qui pour suivre l’évolution des pathologies et pour intervenir lorsque cela est nécessaire.

Une mission des plus importantes pour, bien entendu, éviter des drames, mais aussi pour ne pas avoir à démolir puis, reconstruire des ouvrages [lire p. 30]. Une hérésie à l’heure de la réduction de l’empreinte carbone. « La réparation de nos ouvrages est à privilégier pour limiter les GES. Nous devrions d’ailleurs constater une recrudescence des opérations de réparation plutôt que de démolition/reconstruction des ouvrages dégradés. » Surtout à l’heure du changement climatique. « Celui-ci ne fait qu’aggraver la situation avec des pathologies liées aux effets de certains aléas climatiques, comme la sécheresse ou les crues. Et la nécessité d’adapter nos infrastructures aux nouvelles mobilités : pistes cyclables, tramway, méga-convois… »

Les pathologies évoluent

En parallèle, d’autres mettent en avant la valeur patrimoniale de ces ouvrages pour pousser à leur réparation ou leur transformation pour ne pas les voir disparaître. « C’est un ensemble de critères qui nous pousse à travailler sur la sauvegarde d’ouvrages, en nous basant sur leur âge, la période d’édification, la technique, le constructeur, l’esthétique, explique Bernard Quénée, président de l’association Histoire et Patrimoine de l’AFGC. Ce sont souvent des associations locales qui nous saisissent pour sauver un ouvrage. En général, nous travaillons à trouver une solution d’utilisation alternative et souvent à une inscription ou un classement au titre des Monuments historiques. »

Les pathologies évoluent, elles aussi, puisque dans le temps, les techniques de construction ont changé. Celles d’aujourd’hui ne sont pas celles d’hier ni celles de demain. « La pathologie la plus courante concerne les ouvrages en béton armé. En vieillissant, les bétons se carbonatent ou sont pollués par les chlorures et l’on constate des épaufrures et une corrosion des aciers, reprend Pascale Dumez. Une autre pathologie préoccupante concerne la corrosion des câbles de précontrainte liée souvent à un défaut d’injection. Cela concerne la famille d’ouvrages réalisés durant les premières années de déploiement de cette technique. Ce problème est susceptible de limiter de manière importante la capacité portante des ouvrages, avec limitation de tonnage, voire fermeture des ouvrages. »

Passer en mode préventif

En parallèle, l’outillage aussi fait sa révolution. « Nos métiers sont en pleine transformation numérique. Nous constatons ces dernières années une utilisation croissante des drones et des outils de numérisation pour inspecter à distance les ouvrages et produire des jumeaux numériques dans certains cas. De même, nous avons  de plus en plus souvent recours à la pose de capteurs pour mettre sous surveillance les ouvrages dégradés. Ceci, avec une volonté affichée de passer en mode préventif pour optimiser l’entretien des infrastructures. » Avec, demain, l’aide venue de l’intelligence artificielle. « Elle participera à l’ingénierie de demain, que ce soit en tant qu’aide à la rédaction des rapports que pour l’analyse de l’ensemble des données récoltées pour le diagnostic et la maintenance des ouvrages. »

Yann Butillon et Frédéric Gluzicki

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Article paru dans Béton[s]le Magazine n° 112