Passoires thermiques : Est-ce atteignable ?

Yann Butillon
24/01/2023
Modifié le 24/01/2023 à 16:31

Dans une étude de marché, Xerfi Canal analyse les retombées économiques de la volonté du gouvernement de supprimer les passoires thermiques. Si les entreprises du bâtiment vont en profiter, l’objectif semble très ambitieux.

Le gouvernement fait la chasse aux passoires thermiques. [DR]
Le gouvernement fait la chasse aux passoires thermiques. [DR]

Xerfi Canal est l’un des leaders en France des études économiques sectorielles. Vincent Desruelles a effectué, pour le compte de l’entreprise, une étude poussée sur la rénovation de l’habitat, et notamment des passoires thermiques. Si l’ensemble de l’étude est disponible sur le site de la société, son communiqué en retrace les grandes lignes et nous en apprend un peu plus sur les perspectives du secteur.

Portée par les subventions MaPrimeRénov’ et les aides directes comme les CEE ou les dispositifs complémentaires des collectivités locales, la rénovation énergétique tirera le marché de l’entretien-rénovation de bâtiments. Estimé à 114 Md€ (résidentiel et non résidentiel, avec les petits travaux), ce dernier bondira en moyenne de plus de 4 %/an de 2024 à 2025, après un ralentissement en 2023 lié au recul des ventes dans l’ancien et aux pressions sur le pouvoir d’achat, d’après les experts de Xerfi Precepta.

Une forte croissance du secteur de l’entretien-rénovation

Les dépenses en entretien-rénovation pour le seul habitat devraient augmenter de 4,3 %/an en moyenne d’ici 2025 pour s’établir à 100 Md€. Cette hausse est 2,5 fois supérieure à celle de la décennie 2010. Le marché profite donc bien d’un coup de pouce lié à la transition énergétique. Déjà, quelque 50 000 biens en étiquette G et dont la consommation dépasse 450 kWh/m²/an doivent sortis du marché locatif. Au total, près de 150 Md€ seront nécessaires d’ici 2034 pour supprimer les passoires thermiques du parc locatif, dont 35 à 40 Md€ avant la première grande échéance de 2025 (interdiction à la location de tous les biens étiquetés G).

Les moteurs pour la rénovation des bâtiments tertiaires, industriels et commerciaux (36 Md€ en 2022) resteront, eux aussi, puissants à moyen terme. Face aux difficultés à construire des projets neufs, les opérations de reconversion-réhabilitation auront en effet la cote. Celles-ci sont d’ailleurs encouragées par les collectivités et peuvent se traduire par des associations entre promoteurs et investisseurs.

Un objectif inatteignable ?

Toutefois, les objectifs ambitieux d’éradication des passoires thermiques pourraient bien ne pas être atteints. De nombreux propriétaires bailleurs pourraient s’abstenir d’engager une profonde rénovation faute de rentabilité suffisante (coût des travaux par rapport à la valeur du bien). De la même façon, les opérations en copropriété seront difficiles à mener (règles de décision et de priorisation des travaux curatifs ou d’urgence). En clair, un programme associant aides directes (nationales et locales), propositions de financement du reste à charge et innovation en matière d’ingénierie patrimoniale et financière semble le seul moyen d’accélérer les opérations de rénovation de l’habitat en France.

Dans le logement, les ménages sont les principaux donneurs d’ordre avec 90 % des dépenses (contre 10 % pour les bailleurs sociaux). Ils mobilisent surtout des fonds propres pour financer les travaux et ont recours aux prêts, aidés ou non, à hauteur d’un tiers des dépenses engagées. Et alors que le cadre réglementaire s’oriente vers davantage d’obligations de rénovation, les entreprises du bâtiment vont devoir pallier le manque de main-d’œuvre pour atteindre l’objectif de massification des opérations ou au moins répondre aux besoins croissants des prochaines années.

Aides et accompagnements sont nécessaires

Dans le même temps, il serait judicieux d’adapter les dispositifs d’aide aux besoins. Le chemin s’apparente de fait à un véritable parcours du combattant administratif et les solutions disponibles pour le reste à charge restent insuffisantes. A tel point que les dysfonctionnements recensés sur le dispositif de MaPrimeRénov’ ont conduit de nombreux ménages à renoncer aux aides. Une tendance qui a d’ailleurs fait émerger un marché de l’accompagnement. Le recours à des options alternatives de type tiers financement pourrait aussi être une piste à creuser.

Parmi les différents acteurs du marché de la rénovation, plusieurs lignes directrices se dégagent, en termes de stratégies de croissance. L’accompagnement des ménages dans leurs démarches techniques et administratives est l’une d’entre elles. Les plates-formes d’intermédiation tentent ainsi de se faire une place entre les artisans et les porteurs de projet de rénovation. Les délégataires de CEE cherchent aussi à accompagner les particuliers et les entreprises.

Les grands groupes de construction veulent rationaliser

Pour faciliter les parcours clients désireux d’accéder aux aides, les collaborations entre acteurs et distributeurs voient également le jour. Les négoces essaient pour leur part d’apporter des solutions aux artisans en appui de leur prospection commerciale, permettant à ces derniers d’offrir une gamme complète (des travaux à leur financement). Les fabricants de matériaux et autres acteurs de la construction investissent pour se renforcer sur le marché de la rénovation. Cela passe notamment par des capacités de production étoffées, en particulier dans les produits isolants ou sur des offres destinées à la rénovation.

De leur côté, les groupes de construction proposent des solutions pour gagner en efficacité dans les travaux, à travers l’industrialisation. Vinci Construction ou Bouygues Construction ont ainsi conçu des offres pour réaliser des opérations d’envergure dans des délais très courts, en ayant recours à la préfabrication de panneaux isolants. Basées sur des référentiels faciles à dupliquer, ces démarches ouvrent la voie à un financement par contrats de performance énergétique. Et constituent alors une option sérieuse pour répondre aux objectifs de massification des rénovations.

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