Modifié le 17/11/2025 à 16:55

Argile calcinée, fumée de silice, laitier moulu, mais aussi biochar, coquilles d’œufs ou encore composé pouzzolanique : les additions permettant de substituer une part du clinker sont légion. Certaines sont parfois surprenantes…

Article paru dans Béton[s] le Magazine n°121.

De plus en plus souvent, nous sommes confrontés à une nouvelle terminologie apparue dans le monde du béton. Vocabulaire anglais, qui plus est… “SCM” pour “Supplementary cementitious materials”. Toutefois, la juste transcription en langue française ne semble pas encore avoir percé. En cherchant dans la littérature, sur Internet ou en scrutant quelques documentations techniques, le panel d’adaptations est assez large. Mais commençons par la version qui semble la plus logique : “Matériaux cimentaires supplémentaires”. Interprétation qu’il est possible de décliner en “Matériaux cimentaires complémentaires” ou encore “Matériaux cimentaires alternatifs”. L’autre champ lexical s’articule autour du mot “Addition”, avec deux variantes : “Additions minérales” et “Additions minérales à faible empreinte carbone”. Mais en fait, qu’englobent ces SCM ? La réponse est large : tous les matériaux qu’il est possible d’intégrer aux ciments en substitution partielle du clinker pour en abaisser l’empreinte carbone. Ce sont des matériaux présentant des propriétés hydrauliques latentes ou pouzzolaniques, donc ayant un coefficient d’activité non nul. Cela comprend, par exemple, les additions calcaires ne proposant pas seulement un effet “filler”… Et peut aussi et surtout concerner des matériaux “nouveaux”, non encore identifiés dans le référentiel normatif des bétons et des ciments. Dans ce contexte et en l’état actuel des choses, En français, le terme “additions” semble être le meilleur équivalent pour traduire “Supplementary cementitious materials” (ou SCM). A contrario, le vocable “substitut(ion)” est à exclure – si d’aventure quelqu’un voudrait y faire appel – car il inclut des matériaux pouvant s’utilisant sans ciment (clinker), ce qui sort du champ normatif actuel. Même punition pour “ajout”, car ce mot sous-entend “constituant pas seulement minéral” et “incorporé en quantité limité”. Sachant que les “additions (SCM)” peuvent représenter un pourcentage élevé, voire majoritaire dans la matrice cimentaire.

Maintenant que le décor est planté et que tout le monde est d’accord – je l’espère – quant au vocabulaire à employer, le temps est venu de voir ces “additions” de plus près. Qu’on se le dise, l’exhaustivité ne sera pas de mise ici, mais un portrait du marché sera dressé. De quoi se faire une bonne idée des solutions disponibles pour décarboner ses bétons…

Argeco, l’historique du métakaolin

Le métakaolin donne une plus grande compacité au béton [©Colas]
Le métakaolin donne une plus grande compacité au béton [©Colas]

L’argile calcinée a le vent en poupe. Filiale du groupe Colas, Argeco Développement en est un acteur historique depuis 2006, même si tout le monde n’en est pas toujours conscient. Pourtant, l’explication est simple. Argeco valorise des déblais d’argile kaolinique, l’argile la plus pure et la plus simple à calciner. Le résultat s’appelle métakaolin. « Il s’agit d’une addition plutôt haut de gamme, normalisée depuis 2012, rappelle Philippe Hauza, directeur technique béton, liants hydrauliques et alternatifs chez Colas. Ce produit présente une empreinte carbone de 170 kg éq CO2/t et s’utilise en centrale à béton, en substitution partielle aux ciments CEM I et CEMII/A. » Dans le cadre de la révision de la norme NF EN 206/CN : 2026, les pourcentages de substitution autorisés progressent de manière significative, passant de 15 à 30 % avec le CEM I et de 10 à 30 % avec le CEM II/A.

En parallèle, Argeco a ouvert la voie à toutes les autres additions minérales vers la substitution de nouveaux types de ciments. Ainsi, pour le CEM II/B, la substitution peut désormais atteindre 25 % et aller jusqu’à 20 % avec le CEM III/A, selon la classe d’exposition.

D’un point de vue technique, le métakaolin donne une plus grande compacité au béton. Il en diminue le diamètre des pores et en complexifie le réseau de capillaires. De quoi en augmenter la durabilité. « Ceci, en plus de réduire l’impact carbone du béton, dans les proportions allant maintenant de – 30 à – 50 % en méthode performantielle », complète Philippe Hauza.

Geoclay vise le bas carbone

Echantillon d’argile calcinée signée Geoclay. [©Geoclay]
Echantillon d’argile calcinée signée Geoclay. [©Geoclay]

Nouvel entrant sur ce marché spécifique, Geoclay est une start-up industrielle qui permet de développer un liant bas carbone à partir d’argiles activées, en particulier le métakaolin. Son approche repose sur la valorisation des co-produits de carrières. Et son procédé, maîtrisé de bout en bout, permet le démarrage d’une unité de production dans un temps compris entre 18 à 24 mois. De quoi rendre possible l’implantation de plusieurs unités en France, à court terme.

Ainsi, le premier projet industriel s’appuie sur un partenariat stratégique avec des carrières de matériaux pour l’approvisionnement et la sécurisation des matières premières. Et Geoclay d’annoncer la construction de la première usine pour un investissement 20 M€ dès le début de l’année 2026. En parallèle, des partenariats avec plusieurs grands noms de la construction sont actés, afin de déployer des formulations béton intégrant son métakaolin à grande échelle.

Neocem parie sur l’argile recyclée

Neocem recycle les argiles des chantiers du Grand Paris Express. ©ACPesse]
Neocem recycle les argiles des chantiers du Grand Paris Express. ©ACPesse]

Beaucoup plus avancé, Neocem achève en ce moment la construction de son premier site de production, sis à Saint-Maximin (60). Celui-ci a vocation à flash-calciner des argiles provenant des chantiers du Grand Paris Express. « A fin novembre, nous aurons récolté plus de 70 000 t de matières premières », confie Guillaume Luu, chargé du développement commercial et des partenariats de Neocem. La particularité du “gisement” est qu’il est à 100 % issu du recyclage de terres d’excavation, en l’occurrence. « Nous sommes dans l’éco-circularité et dans la valorisation de ressources. C’est ce qui caractérise notre modèle économique. » Pour le reste, les argiles n’ont rien de différent de celles extraites en carrière… Par contre, Neocem assemble les argiles à sa disposition pour garantir une constance de production et des caractéristiques physico-chimiques régulières.

Aujourd’hui, une quinzaine d’applications ont été identifiées pour ces argiles activées Neocem, dont le BPE, la préfabrication, la route, les travaux d’injection… Par contre, pas de production de liants au programme. « Nous ne souhaitons pas nous opposer aux cimentiers, mais devenir seulement un “facilitateur de décarbonation” », souligne Guillaume Luu.

L’autre aspect du développement potentiel de Neocem est le modèle économique choisi : l’essaimage. « Notre idée est d’installer des mini-usines sur le territoire, à proximité de sources pérennes d’argiles “à recycler”. Nous pensons pouvoir en ouvrir 4 à 5 dans les 5 ans qui viennent, pour une capacité de production cumulée de 1 Mt/an. Ceci, dans le cadre de joint-ventures… »

Condensil ou l’alternative fumée de silice

Les fumées de silice permettent de formuler des bétons très performants et pérennes. [©Condensil]
Les fumées de silice permettent de formuler des bétons très performants et pérennes. [©Condensil]

La fumée de silice est un co-produit issu d’une autre industrie. En l’espèce, celle du silicium métal (assurée par Ferroglobe). Côté carbone, elle affiche un bilan bien moindre que celui du clinker : de l’ordre de 300 kg éq CO2/t, pour le moment. « Toutefois, cette empreinte est aujourd’hui en cours de révision, souligne Marina Golhen, directrice de Condensil. Nous désespérions que cela arrive… »

Par beaucoup, la fumée de silice est considérée comme un super produit, qui permet de formuler des bétons plus techniques. « Des bétons beaucoup moins sensibles aux environnements agressifs, plus compacts, plus résistants, d’une durée de vie plus importante. » Autant d’avantages qui s’expliquent par la finesse du produit : sa granulométrie est 100 fois plus petite que celle du ciment. Bien entendu, la quintessence de la fumée de silice est obtenue à travers l’approche performantielle pour aboutir à la bonne formulation. Un aspect très important, car cette addition n’est disponible qu’en quantité limitée : à peine 30 000 t/an. D’où l’intérêt d’un juste dosage pour le bon usage. Comme, par exemple, pour les bétons projetés par voie humide du Telt (tunnel Lyon-Turin). « L’incorporation de la fumée de silice dans la formule a permis d’obtenir un béton plus “collant”, présentant un moindre rebond. Cela a permis une économie de matière comprise entre 10 et 20 % », détaille Marina Golhen. Autant de béton non consommé, de carbone non émis et de déchets en moins à évacuer…

Ecocem veut aller au-delà du laitier

La laitier de hauts-fourneaux est un co-produit issu de l’industrie de la fonte. [©Ecocem]
La laitier de hauts-fourneaux est un co-produit issu de l’industrie de la fonte. [©Ecocem]

Le broyage est la science centrale d’Ecocem. Et la production de laitier moulu de hauts-fourneaux, son savoir-faire initial. « Il y a une vingtaine d’années, le laitier a acquis le statut de co-produit, car il a commencé à avoir une valeur économique », rappelle Jean-Christophe Trassard, directeur marketing d’Ecocem. En même temps, il présentait une valeur “bas carbone”, de plus en plus recherchée…

Addition, le laitier offre plusieurs aspects physico-chimiques intéressants dans le ciment. Il est très proche du clinker, d’un point de vue minéralogique, avec ses capacités hydrauliques latentes. Il permet de formuler des bétons présentant une faible chaleur d’hydratation et offrant une excellente résistance aux milieux agressifs. L’ensemble de la filière béton a adopté cette addition : BPE, préfabrication, cimentiers, géants du BTP, mortiéristes… Toutefois, les volumes disponibles restent limités (en regard de la demande). Et l’évolution des process de production de la fonte (industrie dont le laitier est à l’origine un déchet) pourrait bien en bouleverser le marché. « De nouveaux types de laitiers vont voir le jour, sans doute plus délicats à maîtriser. »

Ecocem anticipe ce changement depuis plusieurs années déjà. Ainsi, de “simple” fournisseur de laitier, il devient producteur de ciments à part entière. « Nous produisons déjà des CEM III/A, /B et /C par broyage et mélange. Tout comme un ciment ternaire CEM VI. », complète Jean-Christophe Trassard. Mais surtout, Ecocem s’apprête à lancer la production de la technologie Act 1. Une solution qui permet d’abaisser la facture carbone de 70 % ! « Aujourd’hui, Act 1 n’entre pas dans le champ normatif cimentaire, car le taux de clinker présent dans le mélange est inférieur aux seuils autorisés. » En attendant que la norme ciment soit mise à jour, Ecocem a opté pour une Atex de type A, dont l’obtention est attendue pour la fin de l’année. Et d’autres technologies Act sont en cours de développement, pour aller toujours plus loin dans la décarbonation [Lire aussi p. 16].

A l’échelle européenne, une quarantaine de chantiers tests sont en cours. En France, c’est un projet de réhabilitation d’envergure qui est en cours sur un ancien site commercial, près de Lille. Baptisé Millésime, il voit en particulier la mise en œuvre de 630 m3 de formulations béton spéciales. Ceci, à travers une opération unissant Bouygues Construction, Cemex et Ecocem, dans le but d’expérimenter cette technologie Act. En juillet dernier, les deux premiers essais de coulage de voiles en béton Vertua/Act ont été menés avec succès…

Bordet, spécialiste du biochar

Le charbon de bois permet de produire du biochar. [©Bordet]
Le charbon de bois permet de produire du biochar. [©Bordet]

Le biochar constitue une autre manière de décarboner l’industrie cimentière. Puits de carbone par nature, il offre une capacité de séquestration estimée à 2,8 t éqCO2/t. Le groupe bourguignon Bordet en a fait l’une de ses spécialités. Et de lancer un projet baptisé Pyroboil 4.0. pour lequel il bénéficiera d’un soutien financier de 14,1 M€ de Bpifrance ! Le démarrage de l’activité est programmé pour 2027, avec une production attendue de 15 000 t/an contre 4 000 t aujourd’hui. Comme procédé, Bordet s’appuie sur sa technologie brevetée de pyrolyse continue Carboépuré qui assure une production de charbons végétaux à haute performance environnementale. Ceci, tout en maîtrisant leur impact à chaque étape de leur cycle de vie.

Selon le Giec, le biochar pourrait permettre de capturer jusqu’à 2,6 Mdt de CO2/an, à l’échelle mondiale, et tous secteurs confondus. Soit à peu près le total des émissions de l’industrie cimentière… Le potentiel est donc considérable. Grâce au biochar, la séquestration du carbone dans les bétons devient possible et de manière simple. Ceci, sans compromettre leurs propriétés physico-chimiques.

Circul’Egg met des œufs dans le béton !

Bloc béton intégrant du carbonate de calcium biosourcé. [©Bronzo Perasso]
Bloc béton intégrant du carbonate de calcium biosourcé. [©Bronzo Perasso]

Il peut paraître étrange de rapprocher minéralité et biosourcing. Pourtant, un minéral peut être biosourcé. En voici la preuve. Créée en avril 2020, en pleine période Covid, la start-up Circul’Egg a eu l’idée de valoriser les coquilles d’œufs. « L’industrie des ovo-produits en génère près de 40 000 t/an, indique Samuel Olivier, co-fondateur de Circul’Egg. Et de rappeler : « Une coquille d’œuf n’est autre que du carbonate de calcium sur lequel adhère une partie protéïque. Nous séparons ces deux éléments ». En se nourrissant de végétaux, les poules captent le carbone biogénique (CO2) qui s’associe à de l’oxyde de calcium (CaO) pour former une coquille d’œuf (CaCO3). Autrement dit, un carbonate de calcium biosourcé : le CarBio. Cette ressource peut être valorisée dans nombre d’industries, dont celle du béton.

Basé dans les Bouches-du-Rhône, l’industriel Bronzo Perasso en a toute de suite mesuré le potentiel. « Nous avions le souhait de développer une nouvelle offre de produits, très bas carbone, détaille Nicolas Luttringer, directeur marketing et prescription de Bronzo Perasso. Avec un bilan carbo-négatif de – 354,5 kg éq CO2/t, ce filler calcaire répondait à toutes nos attentes. »

En moins d’une année, un bloc béton est développé et mis sur le marché. Son non : Calibloc. “Cali”, en référence à Caliméro, le petit poussin coiffé d’une demi-coquille d’œuf et personnage central du dessin animé du même nom. La réplique « C’est vraiment trop injuste ! » devrait parler à bon nombre d’entre vous… Le bloc béton n’est pas rectifié, mais reste précis, destiné à être maçonné. Il présente les mêmes caractéristiques et résistances d’un bloc traditionnel. « Le carbonate de calcium CarBio est en tout point comparable à un filler calcaire de carrière, d’un point de vue chimique », souligne Samuel Olivier. Et Nicolas Luttringer, de poursuivre : « A présent, nous proposons un bloc béton zéro carbone, contre 8 à 10 kg/m2 pour un bloc classique équivalent ». Le produit répond aux exigences de la RE 2020, tout en permettant de valoriser des matériaux biosourcés. Sa certification NF est en cours. 

Malgré toutes ces qualités, la carbonate de calcium CarBio présente deux limitations. D’un part, son coût, bien plus élevé qu’un filler calcaire de carrière. Et sa non-acceptation par la norme béton NF EN 206 actuelle, qui n’intègre pas les produits biosourcés…

Paebbl propose de minéraliser le carbone

Démonstrateur Paebbl en cours de montage. [©Paebbl]
Démonstrateur Paebbl en cours de montage. [©Paebbl]

Créée en 2021, la start-up Paebbl a choisi d’inaugurer une autre route pour décarboner le béton. Et l’atmosphère en même temps. Sa technologie s’inspire de la nature, en accélérant quelque peu le processus… « Au fil du temps, les roches terrestres ont fini par absorber le CO2 atmosphérique. Ce processus naturel s’appelle la minéralisation, explique Frédéric Ljung, consultant France pour Paebbl. Paebbl souhaite appliquer le même principe dans le démonstrateur qu’elle est en train d’installer à Rotterdam. » Pour ce faire, la start-up utilise une olivine (minéral présent dans le basalte) finement broyée et mélangée à du CO2 biogénique sous forme gazeuse. La réaction est opérée à une température et à une pression contrôlées. Résultat : un composé pouzzolanique à réduire en poudre pour permettre son utilisation comme addition (SCM).

Le produit final répond au nom de PaebblCore et s’inscrit dans la démarche CCUS (Capture, utilisation, stockage du carbone). Il présente un bilan carbone négatif proche de – 200 kg CO2 éq/t. Donc une addition neutre en carbone et un crédit carbone qui est possible de revendre.

« L’ambition de Paebbl est de séquestrer près de 1 Mdt de CO2 biogénique à l’horizon 2050, sachant qu’après son démonstrateur, elle souhaite mettre en route sa première usine dès 2028 », complète Frédéric Ljung.

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Retrouvez l’intégralité du dossier ici.

Article paru dans Béton[s] le Magazine n°121.

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