La minoterie des Imaginaires

Muriel Carbonnet
13/05/1970
Modifié le 14/05/2025 à 17:45

Sur les quais de la Loire, un bâtiment emblématique du patrimoine industriel nantais se cache derrière un bardage bleu : les Grands Moulins de la Loire. Erigé en 1895, il est le premier grand bâtiment en béton armé construit selon le procédé innovant de François Hennebique.

Article paru dans Béton[s] le Magazine n°118.

Archives les Grands Moulins de la Loire. [©Photos : Archives de la Ville de Nantes Métropole et université de Nantes]
Archives les Grands Moulins de la Loire. [©Photos : Archives de la Ville de Nantes Métropole et université de Nantes]

L’histoire des Grands Moulins de Nantes (44), dans le quartier de Chantenay, débute bien avant leur construction.  En 1781, deux bâtiments occupaient déjà le site. L’un abritait la minoterie Béconnier. Et dans le second, une machine à vapeur était installée. Au fil des décennies, le site a vu passer bien des activités, comme la raffinerie de sucre de canne Coquebert, reprise par la société Louis Say et Compagnie, en 1824. En 1842, la minoterie Thébaud acquiert les lieux, transformant les bâtiments en un centre de production de farine et en une boulangerie. Cependant, un incendie ravage le site en 1886, laissant les murs en ruines. Un journaliste de l’époque écrit alors : « A minuit et demie, le spectacle était d’une lugubre splendeur. On voyait des gerbes de feu produites par la paille et le blé, qui venaient tomber dans la Loire en pluie incandescente ».

Le procédé Hennebique, une première à Nantes

Archives les Grands Moulins de la Loire. 
[©Photos : Archives de la Ville de Nantes Métropole et université de Nantes]
Archives les Grands Moulins de la Loire. [©Photos : Archives de la Ville de Nantes Métropole et université de Nantes]

Il faudra attendre 1894 pour que Paul Perraud, déjà propriétaire d’une minoterie à Issé dans le Nord du département de la Loire-Atlantique, décide d’acheter le terrain. Il y envisage la construction d’une grande usine à vapeur, capable de moudre 400 t de blé par jour. La situation en bordure de la Loire et de la voie ferrée est idéale pour l’approvisionnement en blé par train et bateau. Les architectes nantais Lenoir et Etève, et Raoulx, architecte du Mans spécialisé dans l’architecture industrielle, concrétisent alors le projet audacieux de Paul Perraud. Ils s’associent aux ingénieurs E. et P. Sée, basés à Lille et à Eugène Le Brun, ingénieur local du bureau Hennebique, à Nantes.

C’est là qu’entre en scène François Hennebique (1842-1921), pionnier du béton armé, qui expérimente ici son procédé révolutionnaire à grande échelle. Permettant de bâtir des structures monolithiques. Les poteaux évasés reçoivent des poutres, complétés par des solives et par un platelage plan ou voûté. Ce système constructif permet à la fois de porter des charges importantes et de créer des aménagements nécessaires à la machinerie complexe de la minoterie. Le béton armé permet aussi de pallier les problématiques d’incendie, récurrentes dans ces établissements industriels.

Réussite architecturale, mais raté économique

Mesurant 63 m de long, 24 m de large et 25 m de haut, le bâtiment est conçu pour optimiser la production de farine. Il comprend un sous-sol, un rez-de-chaussée, un entresol et cinq étages, chacun adapté aux besoins de la machinerie complexe. Les espaces sont agencés de manière à faciliter le flux de production. Les hauteurs des fenêtres sont réglées étage par étage par des allèges maçonnées rapportées dans la structure en béton.

Archives les Grands Moulins de la Loire. [©Photos : Archives de la Ville de Nantes Métropole et université de Nantes]
Archives les Grands Moulins de la Loire. [©Photos : Archives de la Ville de Nantes Métropole et université de Nantes]

Très vite, la minoterie devient un acteur clef de l’économie locale. Il fournit de la farine à de nombreuses boulangeries, dont la célèbre biscuiterie Lefèvre-Utile. Si le projet est une réussite architecturale et technique, c’est un échec sur le plan économique. Paul Perraud a vu trop grand. Trois ans après la création de la société anonyme des Moulins de Nantes, c’est la liquidation. Puis, le site est acquis par les Grands moulins de la Loire, en 1921. Ils fusionnent les trois principales meuneries du département. Finalement, la minoterie cessera ses activités en 1934.

Une occupation tertiaire

Après plusieurs changements de propriétaires et d’usages, le bâtiment est transformé en bureaux dans les années 1970, devenant l’ensemble de bureaux Cap 44. Le bâtiment est  modifié. Et se voit affublé d’un bardage métallique bleu inesthétique, souvent perçu comme une verrue dans le paysage nantais. La structure en béton est alors profondément remaniée en premier lieu par le chemisage des poteaux et des dalles. Mais après 40 ans d’occupation tertiaire, le bâtiment est vidé dans les années 2010.

En 2018, la Ville de Nantes acquiert l’édifice et lance un projet de réhabilitation. La concertation citoyenne révèle un fort désir de préserver ce patrimoine, tout en lui donnant une nouvelle vie. Le projet de la future Cité des Imaginaires est retenu parmi 160 candidatures.

Vers une nouvelle vie

Archives les Grands Moulins de la Loire. [©Photos : Archives de la Ville de Nantes Métropole et université de Nantes]
Archives les Grands Moulins de la Loire. [©Photos : Archives de la Ville de Nantes Métropole et université de Nantes]

La transformation du Cap 44 en Cité des Imaginaires s’annonce ambitieuse. Les concepteurs de l’équipe chargée de la maîtrise d’œuvre, les Néerlandais Neutelings Riedijk Architects et les Français Ars Architectes. Ils prévoient de conserver la structure Hennebique en béton, tout en intégrant des espaces publics, des jardins, une médiathèque et un musée dédié à Jules Verne. Le projet mettra aussi l’accent sur le réemploi des matériaux, avec un objectif de revalorisation de plus de 95 %. Prévue pour ouvrir ses portes fin 2028, la Cité des Imaginaires promet de redonner au bâtiment son éclat d’antan, tout en le réinscrivant dans le paysage contemporain de Nantes. Ce projet incarne une passerelle entre le passé industriel de la ville et son avenir créatif, célébrant ainsi l’héritage de l’architecture en béton armé et l’esprit d’innovation qui a marqué son histoire.

Un grand merci à Raphaël Saillard, architecte-associé de Ars Architectes.

Archives les Grands Moulins de la Loire. [©Photos : Archives de la Ville de Nantes Métropole et université de Nantes]
Archives les Grands Moulins de la Loire. [©Photos : Archives de la Ville de Nantes Métropole et université de Nantes]

Article paru dans Béton[s] le Magazine n°118.

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