Jason deCaires Taylor : Pirates des Canaries

Muriel Carbonnet
12/05/2022
Modifié le 12/05/2022 à 16:19

Le Museo Atlántico, situé à Lanzarote, est le premier musée d'art contemporain sous-marin, en Europe. Il est dédié aux sculptures de l’artiste écologiste Jason deCaires Taylor. Un hymne artistique… en béton à la protection de notre si fragile éco-système.

L’ensemble “Traverser le Rubicon” se compose d'un groupe de 35 personnages, qui marchent vers une entrée et un mur sous-marins. Ce dernier, qui est à la fois industriel et organique, s'étend de 30 m de long et 4 m de haut, et contient une seule porte en son centre. Il est la métaphore de l'absurdité, des notions de territoires, dans le monde naturel, qui plus est, sous-marin.  [©Jason deCaires Taylor/CACT Lanzarote]
L’ensemble “Traverser le Rubicon” se compose d’un groupe de 35 personnages, qui marchent vers une entrée et un mur sous-marins. Ce dernier, qui est à la fois industriel et organique, s’étend de 30 m de long et 4 m de haut, et contient une seule porte en son centre. Il est la métaphore de l’absurdité, des notions de territoires, dans le monde naturel, qui plus est, sous-marin. [©Jason deCaires Taylor/CACT Lanzarote]

Ouvert en 2016, le Museo Atlántico est le premier musée 100 % aquatique, en Europe. Dans la baie de Las Coloradas, à Yaiza, à la pointe Sud de Lanzarote, une île de l’archipel espagnol des Canaries, les plongeurs peuvent admirer les sculptures de l’artiste britannique Jason deCaires Taylor (né en 1974), organisées en douze groupes, créant un véritable dialogue visuel entre art et océan. Sur quelque 2 500 m2 sous la mer et à environ 15 m de profondeur, le sculpteur a immergé, parmi la faune et la flore marines endémiques, quelque 300 statues de béton, à taille et aux allures humaines.

Tour à tour, ses sculptures évoquent la crise migratoire (“Le Radeau de Lampedusa”, un bateau transportant 13 réfugiés sculptés, version moderne du “Radeau de la Méduse” du peintre Théodore Géricault, datant de 1818), l’environnement ou la vie quotidienne. Elaborées en béton au pH neutre et en matériaux non-polluants, compatibles avec l’environnement, elles créent des mini-éco-systèmes. La vocation du Museo Atlántico est à la fois « la préservation, la conservation et l’éducation sur le milieu marin et la nature » et « un appel à la défense des océans ».

En harmonie avec la faune et la flore

Une évidence pour cette île volcanique, qui, depuis les années 1970, a su préserver son identité, grâce notamment à l’éco-tourisme. Et ce, sous l’action de l’artiste du pays César Manrique (1919-1992), à travers des sculptures monumentales, dont il a parsemé l’île, et à son engagement environnemental. Les sculptures de Jason deCaires Taylor s’inscrivent dans une démarche similaire, une vraie dynamique écologique. Ce pionnier du land art sous-marin reconnu depuis 2006 a très tôt été sensibilisé à la protection des fonds marins.

C’est en 2006 que Jason deCaires Taylor, après avoir touché à la photographie, à la plongée et réalisé des sculptures de pierre, a fondé le premier parc de sculptures subaquatique au monde, sur la côte Ouest de la Grenade aux Antilles. Un succès qui le conduira à renouveler l’expérience, cette fois au large de Cancún (Mexique), en 2009, avec le Musa (dit “Underwater Art Museum”), puis à Lanzarote en 2016. [©Jason deCaires Taylor]

Les sculptures de l’artiste britannique se font coloniser par la faune et la flore marines. Elles accueillent toutes sortes de poissons. En prenant les profondeurs comme “murs” d’une galerie géante, Jason deCaires Taylor donne à voir un spectacle inouï. [©Jason deCaires Taylor/CACT Lanzarote]

Installées courant 2016 au Museo Atlántico de Lanzarote, les premières œuvres du sculpteur ont été “envahies” par les coquillages, les algues et les coraux. Et aussi “visitées” par les poissons. Elles sont même parfois méconnaissables : des objets inertes qui sont absorbés par l’océan. En quelque sorte des « natures mortes, qui est un thème récurrent de mon œuvre, car il démontre assez simplement la beauté de l’évolution ». [©Jason deCaires Taylor/CACT Lanzarote]

Installées courant 2016 au Museo Atlántico de Lanzarote, les premières œuvres du sculpteur ont été “envahies” par les coquillages, les algues et les coraux. Et aussi “visitées” par les poissons. Elles sont même parfois méconnaissables : des objets inertes qui sont absorbés par l’océan. En quelque sorte des « natures mortes, qui est un thème récurrent de mon œuvre, car il démontre assez simplement la beauté de l’évolution ». [©Jason deCaires Taylor/CACT Lanzarote]

La composition “The Human Gyre” met en scène plus de 200 figures, qui crée une vaste formation circulaire ou giratoire. « Cette installation incarne notre vulnérabilité face aux cycles de l’océan, qui fournit l’oxygène que nous respirons, régule notre climat et est une source vitale de nutrition pour des millions de personnes. » [©Jason deCaires Taylor/CACT Lanzarote]

D’ailleurs, ses œuvres aident à reconstituer les récifs coralliens, très souvent menacés, transformant ainsi le Museo Atlántico en récif artificiel à grande échelle. La progressive disparition des sculptures est dans la logique même du projet de Jason deCaires Taylor. Elles sont vouées à se fondre dans leur milieu. L’éco-sculpteur présente des statues, qui « représentent un point d’entrée vers un monde différent et favorisent une meilleure compréhension de notre précieux environnement marin et de combien nous dépendons de lui ». Les habitants de Lanzarote, eux-mêmes, ont servi de modèles pour la plupart des œuvres, créant un paysage sous-marin peuplé de gens ordinaires. Un clin d’œil pour un archéologue du futur…