PODCAST – Gel/dégel : Vers un nouveau protocole d’essai ?

Rédaction
12/03/2024
Modifié le 12/03/2024 à 17:53

PAROLES DE THESARDS #1 - Le cycle “+ 20 °C/- 20 °C” est loin d’être représentatif des conditions réelles de gel/dégel d’ouvrages en béton. En effet, l’amplitude des 40 °C n’est jamais atteinte ! C’est ce que démontre la thèse de Sara Al Haj Sleiman, multi-récompensée.

Article paru dans le n°105 de Béton[s] le Magazine.

PODCAST - Selon la thèse de Sara Al Haj Sleiman, multi-récompensée, le cycle “+ 20 °C/- 20 °C” est loin d’être représentatif des conditions réelles de gel/dégel d’ouvrages en béton.
PODCAST – Selon la thèse de Sara Al Haj Sleiman, multi-récompensée, le cycle “+ 20 °C/- 20 °C” est loin d’être représentatif des conditions réelles de gel/dégel d’ouvrages en béton.

I – Qu’entend-on par “attaque des ouvrages en béton par l’action du gel-dégel” ?

Après un hiver rigoureux, les coûts de maintenance et de réparation des ouvrages en béton constituent des lignes du budget craintes et difficiles à prévoir par les acteurs publics. Les infrastructures – en particulier les autoroutes, les ponts et les barrages -, situées dans des pays froids souffrent de l’effet de l’action du gel en hiver. Là où, en plus, les sels sont utilisés pour dégivrer les surfaces. Sous ces conditions, un écaillage superficiel des structures en béton peut apparaître. Ainsi qu’une fissuration au sein du matériau provoqué par les cycles de gel/dégel. Ceci entraîne une perte de durabilité de l’ouvrage. Il existe de nombreux modèles décrivant les mécanismes impliqués et l’endommagement du matériau qui en résulte. Aucun d’entre eux n’explique en totalité le problème, en raison du couplage de différents phénomènes thermo-hydro-mécaniques et chimiques.

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Des pressions de plusieurs types sont développées dans la porosité de ces matériaux poreux exposés au gel-dégel. Elles s’accompagnent d’une expulsion d’eau liquide dans le système poreux, de gradients de concentration en sels. Ainsi que des forces répulsives entre le cristal de glace en développement et les parois du pore. En outre, la formation de la glace en surface du béton entraîne le développement de contraintes. Ces dernières étant liées à la différence de coefficients d’expansion thermiques. Dont l’amplitude dépend de la concentration de sels en solution.

Les cycles de gel/dégel peuvent avoir des conséquences néfastes pour les ouvrages et les infrastructures en béton...[©ACPresse]
Les cycles de gel/dégel peuvent avoir des conséquences néfastes pour les ouvrages et les infrastructures en béton…[©ACPresse]

II – Quel était l’objectif principal de la thèse et la nature du programme expérimental ?

Cette étude multi-critères a été réalisée suite à une analyse comparative à l’échelle européenne de la fiabilité des essais de résistance du béton soumis à des cycles de gel/dégel en présence de sels de déverglaçage,

Pour cela, une large partie de l’étude a été consacrée à une analyse critique des conditions aux limites d’exposition du béton. Cette analyse est constituée de trois volets :

• Une vérification de la répétabilité des mesures de température, de déformations et de taux d’écaillage, en appliquant le protocole normatif (méthode du Slab Test). Cette campagne de référence consiste à réaliser des essais d’écaillage au laboratoire, en imposant le cycle de “+ 20 °C/- 20 °C”.

• Une analyse de variabilité climatique de différentes zones du monde classées en gel sévère ou modéré. Ainsi qu’une étude expérimentale originale sur site au mont Aigoual, situé sur le Sud du Massif central, à la limite du Gard et de la Lozère.

Plate-forme d’essais sur le mont Aigoual, situé sur le Sud du Massif central.
[©DR]
Plate-forme d’essais sur le mont Aigoual, situé sur le Sud du Massif central. [©DR]

Cette campagne a pour but de caractériser la réponse du béton exposé à des conditions climatiques réelles.

• En raison de la complexité des paramètres mis en jeu dans les phénomènes de gel/dégel, le développement d’outils numériques offre la meilleure opportunité de représenter la complexité du matériau et d’étudier au plus près les phénomènes locaux à petite échelle. Pour cela, une modélisation numérique des déformations du béton exposé aux cycles de gel/dégel au cours de l’essai est aussi effectuée à l’aide d’un modèle numérique basé sur une approche micro-mécanique.

Figure A - Schéma illustrant l’approche numérique multi-échelles. 
[©Sara Al Haj Sleiman]
Figure A – Schéma illustrant l’approche numérique multi-échelles. [©Sara Al Haj Sleiman]

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Le modèle intègre les effets des pressions développées dans la porosité à l’échelle microscopique. Et prend en compte les différents paramètres affectant la dégradation du béton exposé au gel en présence de sels de déverglaçage. A savoir, la température minimale, le degré de saturation en eau, ainsi que la concentration en sel.

III – Quels en sont les principaux résultats ?

Les mesures de température dans les saumures surmontant les éprouvettes testées au laboratoire ont permis de constater que le même cycle n’est pas réellement atteint dans toutes les positions à l’intérieur de l’enceinte climatique. Et ce, même si les mesures de température sont conformes aux recommandations définies par le Slab Test.

Evolutions des températures dans les saumures des éprouvettes au cours du cycle “+ 20 °C/- 20 °C”.
[© Sara Al Haj Sleiman]
Evolutions des températures dans les saumures des éprouvettes au cours du cycle “+ 20 °C/- 20 °C”. [© Sara Al Haj Sleiman]

La pertinence technico-scientifique du cycle a été ainsi remise en question.

L’application de l’approche multi-échelles développée a montré que les niveaux de déformations des éprouvettes testées dans l’enceinte sont dispersés. Et dépendent des paramètres des cycles auxquels elles ont été exposées dans leurs positions dans l’enceinte.

Ce travail de modélisation a permis de mettre en évidence les conséquences de l’hétérogénéité des conditions thermiques au cours des essais d’écaillage actuels et la dispersion des résultats de dégradation qui peut en résulter. Un aspect qui a été négligé dans les études antérieures. Cependant, il constitue un paramètre essentiel pour assurer la fiabilité d’un essai d’évaluation des performances du béton.

De plus, la campagne d’analyse de variabilité climatique a mis en évidence un manque de représentativité du cycle thermique. Cycle appliqué dans le cadre des essais normatifs actuels de caractérisation de la résistance du béton à l’écaillage vis-à-vis des conditions climatiques réelles de gel/dégel. Il a été constaté que l’amplitude totale du cycle thermique n’a jamais été égale à 40 °C, mais plutôt à 15 °C à 20 °C. Cette fourchette semble être représentative des pays nordiques, selon les données des sites officiels météorologiques. Ainsi, l’amplitude se traduit par des cycles de gel/dégel de “+ 5 °C/- 10 °C ou – 15 °C” pour un climat de montagne en Europe occidentale et septentrionale. Et de “- 10 °C/- 25 °C” pour un environnement très sévère en climat continental où la phase de gel persiste.

IV – Qu’apporte cette thèse de nouveau ? Quels en sont les points exploitables immédiatement ?

Le cycle “+ 20 °C/- 20 °C” est loin d’être représentatif des conditions réelles de gel/dégel que le béton pourrait subir, même dans les conditions de climat sévère. L’analyse critique ainsi établie, l’apport essentiel de cette étude réside dans la proposition d’un cycle pertinent qui a été avancé sur la base des conditions climatiques de gel/dégel observées dans les pays à climat modéré et sévère. Cet état de fait amène à proposer le “+ 5 °C/- 15 °C” comme cycle alternatif caractérisé par une amplitude totale de 20 °C au lieu des 40 °C habituels. Et une vitesse de gel ne dépassant pas 2 °C/h…

Les paramètres de ce cycle ont permis d’assurer un fonctionnement optimal de l’enceinte climatique. Ceci s’est traduit par une distribution de température homogène dans les différentes positions de celle-ci, contrairement à ce qui a été le cas avec le cycle “+ 20 °C/- 20 °C”.

Evolutions des températures dans les saumures des éprouvettes au cours du cycle “+ 5 C/- 15 °C”.
[© Sara Al Haj Sleiman]
Evolutions des températures dans les saumures des éprouvettes au cours du cycle “+ 5 C/- 15 °C”. [© Sara Al Haj Sleiman]

Ceci a été vérifié dans plusieurs enceintes climatiques, de puissances et de modèles différents, dans le cadre d’un essai d’inter-comparaison franco-suisse. La dispersion inter-laboratoires a été réduite dans le cas des essais réalisés avec le “+ 5 °C/- 15 °C”, ce qui est un résultat important.

Des essais inter-laboratoires à plus grande échelle devraient être réalisés en incluant au moins huit laboratoires. De quoi permettre de faire évoluer l’essai normatif d’évaluation de la résistance du béton à l’écaillage qui, par son manque de fiabilité actuel, ne peut pas être considéré comme un essai de performances, mais plutôt un essai crible.

Sara Al Haj Sleiman, Ingénieure – Docteure en génie civil de l’Ecole centrale de Nantes

1Intitulée “Vers une évolution du protocole de qualification des bétons exposés au gel-dégel en présence des sels de déverglaçage : apports de la modélisation multi-échelles conjointe à une analyse de la variabilité climatique”, la thèse de Sara Al Haj Sleiman a été réalisée sous Convention industrielle de formation par la recherche (Cifre). Ceci, en associant le Syndicat français de l’industrie cimentière (Sfic) et l’Ecole Centrale de Nantes (laboratoire GeM). Cette thèse a été récompensée par le prix RSE, délivré par la Fondation Ecole française du béton, en juillet 2021. Et par le premier prix du concours Trophées Thèses 2022, organisé par la fondation Excellence SMA, remis en octobre 2022 au salon Batimat.

Article paru dans le n°105 de Béton[s] le Magazine.

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