Le béton, grand oublié de la transition écologique

Rédaction
19/07/2022

C’est un fait : la crise du Covid a accéléré une prise de conscience déjà bien amorcée sur la nécessité de penser différemment l'architecture des villes et des logements. Ce changement de mentalité se traduit par une inflation règlementaire ambitieuse.
Explications par Florent Dubois, ingénieur Arts et Métiers Paris Tech et responsable Construction Durable chez Lafarge France.

Ingénieur Arts et Métiers Paris Tech, Florent Dubois est aujourd’hui responsable Construction Durable chez Lafarge France. [©Lafarge France]
Ingénieur Arts et Métiers Paris Tech, Florent Dubois est aujourd’hui responsable Construction Durable chez Lafarge France. [©Lafarge France]

Deux ans après le forfait “Ma Prime Rénov”, les législateurs se penchent sur les standards des nouveaux bâtiments. Entrée en vigueur début 2022, la RE 2020 est pensée pour donner la primauté à la sobriété énergétique et à la décarbonation de la construction. En particulier, via l’utilisation de matériaux biosourcés…

Pour beaucoup, ce contexte invite à faire plus vert que vert et donc à renier le béton qui reste associé à des représentations peu flatteuses. Bien qu’en théorie le béton ait toute sa place dans les nouveaux mix de matériaux, certains décideurs auront tendance à lui préférer le bois, même s’il ne s’agit pas toujours du matériau le plus adapté.

Or, la question de la qualité de vie est trop importante – et trop complexe ! – pour se contenter d’une solution simple, voire simpliste. Sur le volet écologique et économique, le béton a de beaux arguments à faire valoir. D’autant qu’il a entamé sa mue bas carbone. Alors pourquoi le reléguer d’office au “monde d’hier”, sans lui donner une chance d’aller au bout de sa propre transition ?

Le fantasme d’un urbanisme sans béton

Enterrer le béton, c’est renoncer à une ressource utile et pleine de potentiel, qui a déjà beaucoup évolué depuis trente ans. [©Lafarge France]
Enterrer le béton, c’est renoncer à une ressource utile et pleine de potentiel, qui a déjà beaucoup évolué depuis trente ans. [©Lafarge France]

La question du mieux-vivre n’a jamais été aussi prégnante que depuis que nous avons été contraints de rester confinés à domicile. Pour beaucoup, la crise du Covid a mis en exergue des besoins jusque-là sous-estimés : plus d’espace, meilleur aménagement et ouverture sur l’extérieur. Conséquence directe : le “monde d’après” fait la part belle aux régions et aux villes dites “cathédrale” (situées à 2 h de Paris et dotées d’un patrimoine culturel riche). Ces aspirations individuelles sont loin d’être incompatibles avec une quête de mieux-être collectif.

En un sens, les citoyens d’aujourd’hui renouent avec l’idéal aristotélicien de la tempérance et avec le dogme stoïcien qui consiste à vivre en accord avec la nature. L’heure semble être aux mobilités douces et à la sobriété, dont s’imprègne la nouvelle génération d’architectes et de promoteurs. De fait, les “éco-quartiers” et les bâtiments “éco-conçus” n’ont jamais autant été en vogue ! Alors que le rééquilibrage territorial qui se dessine met au jour de nouveaux besoins, en termes de logement, on attend de l’urbanisme contemporain qu’il s’intègre harmonieusement à la nature. Et dans cette vision idéalisée, le béton tel qu’on se le représente habituellement n’a pas sa place. Qui voudrait encore d’un matériau réputé polluant et non recyclable ?

Le citoyen et la planète, grands perdants d’un débat qui n’en est pas un

Il faut néanmoins rappeler que, comme toutes les images d’Epinal, celle-ci ne correspond à aucun art de vivre réel. D’une part, parce que peu de gens sont prêts à assumer un modèle de développement qui ne repose pas sur la métropolisation et l’augmentation des infrastructures de mobilité. D’autre part, parce que l’objectif impérieux de décarbonation impose des solutions complexes : jusqu’à preuve du contraire, le matériau miracle n’existe pas ! Pourtant, l’Etat a fait le choix d’investir des milliards d’euros dans la filière du bois et pousse à son utilisation massive… au détriment d’autres matériaux.

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Or, en fonction des territoires et de leur spécificité, ce parti-pris n’est pas toujours pertinent. Il peut même s’avérer contre-productif dans la mesure où le bois de construction répond mal à l’injonction du “vite et massif”, voire provoque, en cas de sylviculture intensive, des conséquences nocives sur l’environnement. Bien sûr, on ne peut qu’applaudir la volonté d’accélérer la transition vers une économie décarbonée. Mais il est dommage que le débat public se retrouve caricaturé et surtout perde de vue le principal intéressé : le citoyen lui-même. Celui-ci est tributaire de politiques qui le dépassent, mais qui le concernent au premier chef. Et pour cause : le logement représente en moyenne 20 % de ses revenus. Il est donc une bombe sociale latente.

Nous avons trop tendance à oublier que les Français sont fortement contraints en termes de pouvoir d’achat. Et qu’avec la pénurie de logements, aggravée par la baisse de constructions neuves, la situation n’est pas près de s’arranger. Le béton est beaucoup moins cher que la plupart des matériaux existants. Et contrairement à ce qu’on pourrait penser, pas nécessairement plus polluant. L’évacuer du débat public au détriment de l’habitant et, in fine, de la planète, n’a tout simplement pas de sens.

Oser le béton pour construire demain !

Le béton est beaucoup moins cher que la plupart des matériaux de construction existants. [©Lafarge France]
Le béton est beaucoup moins cher que la plupart des matériaux de construction existants. [©Lafarge France]

L’enjeu dépasse la question du matériau A ou B, puisque c’est toute l’industrie qu’il faut transformer. Gardons-nous simplement d’être trop expéditifs dans les choix qui vont être faits. Enterrer le béton, c’est renoncer à une ressource utile et pleine de potentiel, qui a déjà beaucoup évolué depuis trente ans. Pour l’avenir, nous pouvons encore miser sur deux axes de technologies de rupture. Celles qui permettent de formuler des bétons bas carbone, recyclés ou encore biosourcés, et celles qui permettent de capter et de réutiliser les émissions résiduelles de CO2. Sans compter toutes les émissions que nous pouvons éviter, en utilisant tout simplement des bétons plus performants, en moindre quantité. Alors pourquoi nous en priver ?

En s’appuyant sur ces leviers, la filière du béton pourra devenir neutre en carbone et largement moins consommatrice de ressources minérales non renouvelables. Mais ce chantier collectif est aussi une affaire de volonté politique. Nous ne manquons pas de données, ni sur les besoins de construction ni sur les ressources disponibles dans les différents territoires. Il est grand temps de quitter les postures idéologiques et de mettre toutes ces expertises au service d’une meilleure qualité de vie. Pour la nouvelle génération d’architectes, de techniciens et d’ingénieurs, le défi est passionnant. Il s’agit, ni plus ni moins, de construire un vivre-ensemble enfin durable.

Florent Dubois
Ingénieur Arts et Métiers Paris Tech et responsable Construction Durable chez Lafarge France.