Michel Charpentier : A la fois bestiaire et corps refigurés

Muriel Carbonnet
27/08/2020
Modifié le 06/07/2023 à 12:19

Si le béton est le matériau de prédilection de nombre de sculpteurs en ce début XXIe siècle, il n’en a pas toujours été ainsi. Michel Charpentier, 93 ans, serait-il, comme le suggère Lydia Harambourg, historienne et critique d’art, le seul artiste de la seconde moitié du XXe siècle, à avoir utilisé ce médium ?

Retrouvez cet article dans le n° 88 de Béton[s] le Magazine.

Michel Charpentier considère qu’il doit entrer dans la peau du personnage. Celle de ses sculptures. Peaux plissées, gonflées, tordues, formes déformées, participent à une vision grotesque, voire surréaliste. [©Clovis Prévost/clovis.prevost@wanadoo.fr]
Michel Charpentier considère qu’il doit entrer dans la peau du personnage. Celle de ses sculptures. Peaux plissées, gonflées, tordues, formes déformées, participent à une vision grotesque, voire surréaliste. [©Clovis Prévost/clovis.prevost@wanadoo.fr]

Né en 1927, Michel Charpentier a toujours aimé prendre l’académisme à rebours. Dans l’abstraction des années 1950-1960, il se fait figuratif. Il réalise des sculptures de grands corps debout et donne libre cours à un bestiaire bien particulier, emprunts parfois de Surréalisme. Après un bref passage à l’Ecole Boulle, c’est à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris que tout commence avec, dans l’atelier de gravure en médaille, l’apprentissage du dessin et du bas-relief. Et, à Rome, qu’il découvre la possibilité de faire de la sculpture avec du béton qui va devenir son matériau de prédilection.

« Une fois lauréat du Prix de Rome, je suis parti dans la Ville éternelle pour un séjour de trois ans à la Villa Médicis. J’ai été fasciné par les échantillons de ciment que les maçons romains laissaient après eux. Je leur ai demandé comment ils fabriquaient cette matière blanche pareille à du yaourt. Ils m’ont donné leur recette : chaux, poudre de pouzzolane, sable, eau et colorant. J’ai acheté à mon tour du ciment et fait mes mélanges. Durant l’exposition de fin d’année à la Villa Médicis, mes premières sculptures représentaient une Chèvre pétrie d’archaïsme. Et un Cheval qui s’apparente aux fameux petits chevaux des tombes étrusques de Tarquinia, haut de 1,20 m. Jean Cocteau qui vint au vernissage, trouva ça “fantastique” et m’encouragea à poursuivre sur cette voie. » C’est ici que débute sa grande aventure avec ce matériau. Ici, à Rome…

« De la sculpture intime »

« C’était très physique, il fallait bûcheronner, tailler, creuser pour avoir une source et faire un puits », se souvient Michel Charpentier au sujet du bois de Vallangoujard (95). En prise directe avec la nature… [©Clovis Prévost/clovis.prevost@wanadoo.fr]
« C’était très physique, il fallait bûcheronner, tailler, creuser pour avoir une source et faire un puits », se souvient Michel Charpentier au sujet du bois de Vallangoujard (95). En prise directe avec la nature… [©Clovis Prévost/clovis.prevost@wanadoo.fr]

De retour en France, Michel Charpentier cherche la bonne formulation. « En jetant le béton sur les armatures, je suis passé de l’angoisse à la jubilation. Le béton m’a permis de donner forme à toutes sortes de sensations et émotions. » Le sculpteur s’installe dans le village d’Auvers-sur-Oise (95). Confronté à l’Abstraction de son époque, il s’attaque au corps humain saisi par fragments. Puis, au fil des années 1960, il recolle les morceaux et retrouve le corps figuré, défiguré et refiguré.

Tension entre figure réelle et figure idéale, lui valant d’obtenir en 1963 le prix Malraux de la Biennale de Paris et de bénéficier, en 1965, d’une exposition personnelle, au musée d’Art Moderne de la Ville de Paris. Après 1968, le sculpteur se partage entre l’Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris et son atelier d’Auvers-sur-Oise. Où il se donne pour objectif de faire « de la sculpture intime », en expérimentant les limites du béton. 

Michel Charpentier a rompu avec la statue commémorative triste ou la statuaire abstraite. Et est resté en contact avec la nature, les prés, les arbres et les jardins. [©Clovis Prévost/clovis.prevost@wanadoo.fr]
Michel Charpentier a rompu avec la statue commémorative triste ou la statuaire abstraite. Et est resté en contact avec la nature, les prés, les arbres et les jardins. [©Clovis Prévost/clovis.prevost@wanadoo.fr]

Bestiaire ovidien

Michel Charpentier est toujours au plus proche de la nature. Il vit avec ses sculptures. De 1994 à 2002, ce sont sur les 4 ha familiaux non défrichés de Vallangoujard (95), qu’il installe une trentaine de ses œuvres sur les thèmes de la chasse, de la séduction, des métamorphoses… Il est inspiré… Fort inspiré…

Cette collection à l’effigie d’animaux mutilés et d’humains aux allures étranges, Michel Charpentier l’a conçue au milieu de la forêt. [©Clovis Prévost/clovis.prevost@wanadoo.fr]

Il se donne pour objectif de faire “de la sculpture intime”, tout en expérimentant les limites du béton. Ce qui l’amène à produire d’étranges créatures et de véritables performances. [©Clovis Prévost/clovis.prevost@wanadoo.fr]

A Vallangoujard, dans ce lieu qu’il tient pour la grande œuvre, Michel Charpentier s’identifie à toutes ces espèces, végétaux ou bestioles qui sortent de terre, et les transforme. Son bestiaire se compose de gastéropodes, d’insectes, d’oiseaux et de sangliers… [©Clovis Prévost/clovis.prevost@wanadoo.fr]

A l’initiative de Bruno Huisman, maire de Valmondois, le sculpteur fait donation à la commune d’un ensemble de 25 pièces majeures. Depuis juin 2019, leur installation est devenue pérenne. [©Clovis Prévost/clovis.prevost@wanadoo.fr]

En 2019, à l’initiative de Bruno Huisman, maire de Valmondois (près d’Auvers-sur-Oise), et de son Conseil municipal, le sculpteur fait donation à la commune d’un ensemble de 25 pièces majeures. Leur installation devient alors pérenne dans “Le Jardin de sculptures Michel Charpentier”, qui n’est pas sans rappeler le célèbre jardin italien de Bomarzo, appelé aussi Parc des monstres.

Muriel Carbonnet

Jardin : Chemin Bescherelle – 95760 Valmondois – Tél : 01 34 73 06 26
Maison-atelier : 41 rue du Montcel – 95430 Auvers-sur-Oise – Tél : 07 86 55 53 65
Site : http://mcharpentiersculptures.fr/